Partage ton histoire de sommeil s’est avéré être une plateforme précieuse pour discuter de troubles du sommeil, d’expériences personnelles, de défis sociétaux et du besoin urgent d’accroître la recherche et la sensibilisation en la matière.
Guillaume, 47 ans, a immédiatement démontré de l’intérêt à l’idée de sensibiliser la population aux érections nocturnes douloureuses (en anglais : sleep-related painful erections ou SRPE, pour faciliter la recherche d’articles scientifiques en ligne). Il s’agit d’une parasomnie rare et débilitante avec laquelle il vit. À toutes fins pratiques, les parasomnies sont des troubles qui provoquent des comportements indésirables ou des perturbations pendant le sommeil.
Lorsque j’ai rencontré Guillaume par une chaude journée d’été, il a parlé ouvertement de son parcours avec les érections nocturnes douloureuses. Ce parcours a commencé vers 2010.
Pour lui, un épisode signifie généralement d’être réveillé par une douleur intense associée à une érection. Selon la littérature médicale, la douleur dans de tels épisodes peut varier d’inconfortable à sévère. Dans le cas de Guillaume, elle est surtout sévère. En revanche, pour lui et pour d’autres qui vivent avec cette parasomnie, c’est parfois la persistance de l’érection nocturne – plus que la douleur – qui provoque un réveil.
Notamment, les érections nocturnes douloureuses ne sont pas liées au désir sexuel, aux rêves érotiques ou à l’imagerie mentale.
Guillaume confirme :
J’ai tenu un journal de rêves. La proportion de fois où je me suis réveillé ainsi après avoir fait un rêve érotique – quelque chose de courant pendant le sommeil paradoxal – est si insignifiante qu’elle ne serait considérée que comme une exception ou une coïncidence. Ça n’est pas lié.
Rester en position horizontale intensifie souvent la douleur, alors Guillaume doit se réveiller complètement, marcher dans sa chambre, respirer profondément, essayer d’uriner et attendre que la douleur s’atténue. Le temps qui s’écoule entre la douleur initiale et le retour à un sommeil réparateur peut traîner en longueur, si tant est que le sommeil revienne. D’ordinaire, il estime à environ 30 minutes le temps qui s’écoule entre un réveil et le nouvel accès au sommeil. Par conséquent, ses nuits sont fragmentées et il se sent très rarement rafraîchi le matin.
Pour faire face à cette situation, Guillaume planifie des siestes de jour. Sinon, il ne pourrait pas profiter des activités prévues avec sa partenaire :
« Je ne pourrais même pas finir de regarder un film avec elle. »
Alors que la majorité considère qu’il n’y a pas assez d’heures dans une journée, pour lui, c’est le contraire. Exténué, il passe de nombreuses heures de piètre qualité, souvent étendu, à attendre la sieste. De plus, quand il fait une sieste prématurément dans la journée, sa soirée s’annonce plus difficile.
Par conséquent, sa fenêtre de socialisation s’est considérablement réduite. Le terme décalage social prend un nouveau sens lorsqu’on parle à des personnes atteintes de maladies rares, de troubles chroniques ou de privation de sommeil, et le phénomène est souvent lié à une diminution de l’estime de soi et à l’isolement.
En 2012, Guillaume vivait plusieurs épisodes d’érections douloureuses par nuit, ce qui entraînait une fatigue extrême et des difficultés de concentration et de mémorisation au travail. Ce décalage professionnel a finalement entraîné un congé de maladie.
CONSULTATIONS MÉDICALES ET ESPOIRS INASSOUVIS
Alors que ses symptômes s’intensifiaient, Guillaume a demandé l’aide de plusieurs professionnels de la santé, notamment des urologues, des neurologues, des pharmaciens, des spécialistes du sommeil et même des urgentologues. Un médecin de l’urgence lui a prescrit un médicament hypnotique qui s’est avéré, selon lui, être une solution inadéquate et inefficace visant le court terme pour un problème évoluant plutôt sur le long terme.
Ce n’est qu’en 2014, quatre ans après l’apparition de ses premiers symptômes, que Guillaume a découvert de l’information sur les érections nocturnes douloureuses dans un forum en ligne et dans des articles scientifiques. Pas un seul spécialiste ne lui avait mentionné le phénomène auparavant.
Cette découverte l’a amené à visiter, autour de l’année 2016, des laboratoires où son sommeil pourrait être observé et évalué. Malheureusement, les données recueillies lors de son premier séjour ne reflétaient pas son expérience typique du sommeil. Le nouvel environnement et les inconforts (le port d’électrodes, les salles de bains partagées et les horaires prédéterminés, par exemple) peuvent rendre difficile de reproduire en laboratoire une expérience typique de sommeil. Dans le cas de Guillaume, l’équipe du laboratoire lui a administré une médication de type benzodiazépine pour soulager son anxiété liée à l’environnement et à l’horaire, puis pour faciliter son endormissement. Ironiquement, le médicament a empêché l’apparition d’érections douloureuses pendant l’étude – au cours de laquelle il a pu vivre sa première nuit ininterrompue depuis des années – ce qui l’a rendue non concluante.
Guillaume a ensuite commencé à prendre cette médication de type benzodiazépine régulièrement. Cela a aidé au début, mais a progressivement conduit à l’atteinte d’un seuil de tolérance, puis à la dépendance. Malgré la prise régulière de cette médication, les érections douloureuses sont revenues et ont atteint « le pire sommet atteint antérieurement ». Au fil des ans, il estime avoir essayé plus de 50 médicaments, dont aucun n’a réussi à lui apporter un soulagement durable. Chacun s’est accompagné d’effets secondaires, allant de simples maux de tête jusqu’au syndrome sérotoninergique.
En plus d’avoir tenu un journal de rêves et un journal de sommeil, Guillaume a demandé l’aide de psychologues, de physiothérapeutes, de chiropraticiens, d’ostéopathes, d’hypnothérapeutes et d’acupuncteurs. Il a essayé plusieurs types d’exercices pelviens. Bien qu’il ait maintenu certaines de ces relations et conservé certaines de ces bonnes habitudes, rien n’a encore donné de résultats durables qui lui rendraient une qualité de vie comparable à celle qu’il avait auparavant.
IMPACTS PSYCHOSOCIAUX
Les érections nocturnes douloureuses ont entraîné une invalidité permanente, empêchant Guillaume de continuer à occuper un rôle professionnel à temps plein pour lequel il avait durement étudié. Cela a perturbé non seulement sa carrière, mais aussi le plan de vie qu’il avait élaboré avec sa partenaire.
Guillaume a décrit s’être senti isolé, frustré et constamment en « mode survie ». Au fil du temps, certains membres de son cercle social ont même été tentés de minimiser la gravité de sa condition et des conséquences que celle-ci entraînait dans toutes les sphères de sa vie.
Créatif et altruiste, il a continué de trouver de la joie dans les petits moments simples – jouer de la guitare, faire de courtes promenades, manger de la crème glacée, faire du bénévolat. Il souligne également le soutien inestimable de sa partenaire.
PLAIDOYER
Guillaume s’implique dans un groupe de soutien pour les personnes touchées par les érections nocturnes douloureuses (ou vivant avec une personne qui l’est). Le groupe, qui a commencé avec 2 membres, compte maintenant près de 300 membres et sert d’espace bienveillant de plaidoyer et de soutien, ainsi que de recherche de solutions thérapeutiques.
Bien que les érections nocturnes douloureuses soient statistiquement rares, elles sont probablement sous-déclarées en raison de la stigmatisation, du caractère intime, gênant et inusité des symptômes, du manque de sensibilisation ainsi que du fait que les hommes (qui constituent la majorité des personnes touchées) sont généralement moins représentés dans les communautés de soutien.
Guillaume a souligné l’importance de briser le silence :
La réduction de l’isolement commence en nommant le syndrome. L’un des objectifs de notre groupe est de dire : ‘vous n’êtes pas seul’
Je lui ai dit que j’admirais la façon dont il trouvait des moyens de contribuer de manière significative à la société en dehors du modèle traditionnel de « 9 à 5 » grâce à ses efforts soutenus.
PROCHAINES ÉTAPES
- Mener plus de projets de recherche
Guillaume et moi avons discuté des défis plus larges de la recherche sur les troubles rares. Guillaume demeure réaliste quant au faible incitatif à étudier les conditions qui touchent un petit pourcentage de la population. Mais en tant que patient, il insiste : d’autres recherches sont nécessaires de toute urgence.
La rareté de la littérature publiée nuit non seulement à la compréhension des patients, mais empêche également les professionnels de la santé de les diagnostiquer et de les traiter efficacement. - Améliorer les protocoles d’observation en laboratoire
Nous avons tous les deux eu des expériences similaires et non concluantes dans des laboratoires de sommeil, ce qui a entraîné un gaspillage de ressources et une incertitude prolongée. Un protocole comportant quelques nuits pourrait produire des données plus représentatives et réduire le fardeau de l’errance médicale. Bien que les observations en laboratoires nécessitent beaucoup de ressources et que les listes d’attente soient longues, le modèle d’une seule nuit peut laisser les patients perplexes. Ces observations sont souvent menées à des heures fixes dans des conditions moins familières, ce qui peut rendre les patients hyper-vigilants et ne pas correspondre à leurs cycles naturels de sommeil. - Opérer un changement dans les attitudes sociales
Guillaume a souligné la nécessité de l’humilité et de la curiosité dans le domaine médical. Il se souvient d’un urologue qui a admis sans détour sa connaissance limitée des érections nocturnes douloureuses et qui lui a proposé de consulter un spécialiste du sommeil. Ce moment de collaboration a permis de confirmer le diagnostic de parasomnie et d’exclure d’autres causes.
RÉFLEXIONS FINALES
L’histoire de sommeil de Guillaume est un puissant rappel des défis auxquels beaucoup sont confrontés lorsqu’ils vivent avec des syndromes rares et mal compris. Grâce à sa résilience et à sa détermination, Guillaume continue de sensibiliser les membres de son groupe et de faire pression pour un changement systémique, en veillant à ce que son prochain puisse vivre une expérience moins déroutante que la sienne.
Josianne Barrette-Moran, étudiante au doctorat en bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, avec le soutien et le consentement de Guillaume (pseudonyme), qui a gracieusement révisé certains passages