Version originale en anglais disponible ici: https://css-scs.ca/share-your-sleep-story/janets-story-2/
“Quand tu n’as pas dormi depuis 2-3 jours, c’est très perturbant d’aller se coucher. J’étais inquiète à l’idée de dormir. Je ne vivais pas vraiment. J’étais juste épuisée. Je devenais paranoïaque. J’avais désespérément envie de dormir, mais je ne pouvais juste pas.”
« Défi, incertain, discontinu » : c’est le sommeil pour Janet, en ses propres mots. « Chaque nuit est une expérience différente. Je ne sais pas à quoi m’attendre. Alors, c’est un sentiment d’insécurité, » a-t-elle ajouté.
Interrogée sur son sommeil la nuit précédant notre discussion, elle s’est empressée d’aller chercher son journal du sommeil. Elle a lu ses notes :
« 9 février : allée me coucher à midi, réveillée à 4:20 du matin.
10 février : je ne sais pas combien de temps j’ai dormi. Je me suis retournée toute la nuit.
[Pages qui tournent]
4 janvier : mauvais sommeil. Tourné et retourné.
13 janvier : 4 heures de sommeil.
14 janvier : Tourné et retourné. Mal dormi. Mon mari était à l’hôpital, et j’ai pris un demi copain [somnifère]. La nuit suivante, j’ai pris un autre copain parce qu’il fallait que je dorme. »
Le sommeil est un élément central de la vie de Janet. « Ne pas dormir fait partie de ma vie. Je peux bien dormir pour six semaines, puis l’insomnie revient. »
Pour elle, se poser sur l’oreiller signifie avoir un dialogue continu avec elle-même et une négociation avec le sommeil. « Je voulais aller me coucher, mais je ne voulais pas aller me coucher, parce que j’étais rendue incapable de dormir. Quand tu n’as pas dormi depuis 2-3 jours, c’est très perturbant d’aller se coucher. J’étais inquiète à l’idée de dormir. Je ne vivais pas vraiment. J’étais juste épuisée. Je devenais paranoïaque. J’avais désespérément envie de dormir, mais je ne pouvais juste pas. »
IL ÉTAIT TEMPS
L’année 1999 est gravée dans la mémoire de Janet. L’année où une bonne nuit de sommeil est devenue un souvenir pour elle. Elle se souvient clairement : « John F. Kennedy Jr et sa femme ont été victimes d’un tragique accident d’avion. Je me souviens que les nouvelles jouaient toutes les nuits parce que je les écoutais. Je ne dormais pas. »
Janet et son mari étaient nouveaux à Montréal, venant d’arriver de Calgary et ne connaissant personne à Montréal. Elle enseignait à temps plein à Calgary, mais elle n’était pas qualifiée pour enseigner au Québec. Elle avait deux jeunes enfants et ne pouvait s’éloigner, puisque son mari travaillait toute la journée et elle devait rester avec eux. En même temps, son ami proche est décédé, et son frère vivait de graves problèmes personnels. « C’était beaucoup », a-t-elle dit.
« J’ai passé un mois à ne pas dormir. C’était horrible. J’allais au lit épuisée et dès que je posais ma tête sur l’oreiller, j’étais réveillée. J’ai commencé à penser que c’était simplement comme ça que j’étais. Que je suis juste une personne qui ne peut pas dormir. Mais je n’avais jamais été cette personne avant 1999. »
Janet avait alors 55 ans. Le sommeil n’avait jamais été un problème auparavant, et donc cela semblait n’être qu’une entorse temporaire à sa routine. Mais un incident lui a fait réaliser qu’il était temps de s’en préoccuper sérieusement.
Un jour, je devais faire une commission. J’ai eu un brouillard cérébral épouvantable, et je ne peux pas croire que je me suis ramassée à conduire en sens inverse sur une artère très achalandée. Ça y est! J’ai su que je devais faire quelque chose. Je savais que la privation de sommeil pouvait causer des accidents. J’ai pris conscience que je pouvais causer du mal à quelqu’un. Je ne dormais pas au volant, mais je ne faisais pas attention.
Il était temps.
LES SOMNIFÈRES, LES COPAINS
Bien qu’elle ait reconnu le problème, elle n’a pas cherché l’aide d’un médecin. « J’ai compris d’amis qui étaient allés chez le médecin qu’on leur donnait toujours une prescription pour des somnifères au lieu d’un vrai traitement. Je ne voulais pas ça. »
Tout ce dont Janet avait besoin était de regagner confiance en sa capacité de dormir sans dépendre de somnifères. « Je devais briser le cycle de l’insomnie. »
Janet avait confiance en son amie, qui faisait de l’insomnie et prenait de l’Ativan. Elle a commencé à prendre une moitié de comprimé de 1mg d’Ativan – ça a marché! Elle les a pris seulement pendant une semaine, puis a arrêté pour un certain temps.
« Je ne me suis jamais passée d’Ativan depuis. Je les prends par intermittence. Je les appelle mes copains. » Les « copains » qui lui ont donné confiance en sa capacité de dormir – les « copains » qu’elle gardait à côté de son lit, sachant qu’elle pouvait s’y fier en cas de besoin, non par habitude.
Elle essaie fort de ne pas en dépendre. « Je laisse 3-4 nuits blanches passer, puis j’en prends un. » Cela réduit son anxiété par rapport au fait de ne pas dormir. Elle a confié : « Je passais trois mois sans Ativan, puis je retombais dans le cycle de l’insomnie pour une quelconque raison. » Parfois, sans raison.
À cause de sa crainte de l’incertitude de s’endormir, elle prend occasionnellement de l’Ativan par mesure préventive lorsqu’elle a quelque chose d’important le lendemain et qu’elle ne peut pas se permettre de souffrir de brouillard cérébral.
« Mon insomnie n’est jamais partie. Elle revient toujours. L’Ativan était une solution temporaire. » Janet a confié qu’elle se sent « coupable » et « comme une tricheuse » de prendre ses copains. « Je n’aime pas ça parce que je veux dormir par moi-même, pas grâce à une pilule. Je ne veux pas être contrôlée par un médicament. »
REGAGNER CONFIANCE AVEC LA TCC-I
Plusieurs ont entendu parler de la TCC, la thérapie cognitive-comportementale, une forme de psychothérapie. Mais la TCC-I – la TCC pour l’insomnie – est moins largement connue, bien qu’elle soit recommandée comme traitement de première ligne pour l’insomnie. Il a été démontré qu’elle est efficace pour gérer l’insomnie auprès de populations diverses, notamment les travailleurs sur rotation, les adolescents et les adultes avec ou sans comorbidités. Lorsque comparée aux somnifères, la TCC-I est plus efficace, plus sécuritaire, a des bénéfices durables et, surtout, elle s’attaque à la cause profonde de l’insomnie (pour davantage d’informations sur la TCC-I triées par des experts, visitez : https://mieux-dormir.ca/tcci/).
Comme plusieurs, Janet ne connaissait pas la TCC-I. « Je ne sais pas ça fait combien de temps que la TCC-I existe, mais je n’ai jamais entendu les médecins en parler. Ils n’ont jamais suggéré que je m’inscrive à un programme qui offre la TCC-I. Je crois que les gens veulent simplement avoir une solution rapide à court terme et donc optent pour les somnifères. »
Janet a appris l’existence d’une étude sur la TCC-I à l’Université Concordia pendant la pandémie. Elle était une candidate parfaite, et s’est inscrite dans l’étude.
« Le programme était très facile. Je l’ai suivi une fois par semaine pendant quatre semaines. Ça consistait en différentes techniques d’hygiène du sommeil, y compris de consigner son sommeil. » Une pratique que, de toute évidence, elle suit toujours. « Ils nous ont donné un diagramme de pensée et des stratégies pour briser le cycle de pensées. Une stratégie était de compter à l’envers pour arrêter le fil de pensées. »
La TCC-I a aidé Janet à « ne PAS me sentir impuissante », et à savoir qu’elle pouvait arrêter le tourbillon de pensées négatives et regagner confiance en sa capacité de dormir par elle-même, sans ses copains. « Je me sentais capable de faire face à l’insomnie. Ça m’a aussi aidée de savoir que des ressources légitimes étaient à ma portée, » a-t-elle ajouté.
Ce qui a le plus changé la donne pour Janet est quand un mythe auquel elle croyait a été démenti. On lui a dit que 8 heures de sommeil n’étaient pas nécessaires pour tout le monde – que chaque personne a des besoins de sommeil qui lui sont propres.
Je pense que cette fausse idée me faisait du tort. Ça me rendait anxieuse et contrariée quand je n’arrivais pas à dormir autant.
Car sa TCC-I a aussi eu des bienfaits psychologiques. « Je me sentais mieux psychologiquement au fur et à mesure que je m’attaquais à l’insomnie. J’essayais. Je me disais que si cette nuit était une mauvaise nuit, demain serait mieux. J’ai bien adhéré à la routine qu’on m’a dit de suivre comme faisant partie du programme. »
Cinq ans après la pandémie, Janet applique toujours la plupart de ses apprentissages de la TCC-I. « La TCC-I m’a vraiment aidée à diminuer mon anxiété par rapport au sommeil. [Également,] je ne manque pas d’activité physique, quoi qu’il arrive. Ils ont insisté dans le programme que dormir au milieu de la journée si tu n’as pas dormi la nuit d’avant est la pire chose que tu peux faire. Finis ta journée et dors la nuit. »
UN BESOIN DE CHANGEMENT
La TCC-I a affirmé auprès de Janet sa capacité à faire face à son insomnie. Compte tenu de l’effet positif de la TCC-I sur sa vie, elle a souligné le problème d’accessibilité à la TCC-I.
« Ça aiderait si les médecins pouvaient dire aux gens : “Vous pouvez vaincre ça. Vous n’avez pas besoin de médicaments. Inscrivez-vous à un programme de TCC-I.” Mais les médecins ne connaissent pas ça. » Cela indique le manque d’éducation des médecins de famille en matière de sommeil et le manque d’application des traitements fondés sur des données probantes au niveau clinique. C’est là un obstacle à l’accès à un traitement efficace pour l’insomnie. « Je crois que ça aurait été super pour moi si j’y avais eu accès en 1999. »
Du point de vue de Janet, un autre obstacle à l’accès à la TCC-I pourrait être son coût. « Si on vous réfère un thérapeute pour la TCC-I, peut-être que vous ne voudrez pas payer. Mais si on vous disait que vous pouvez y accéder en ligne, ça aiderait beaucoup de gens. » En effet, la TCC-I et d’autres traitements médicamenteux plus sécuritaires pour l’insomnie ne sont pas couverts par la RAMQ, le régime québécois public d’assurance maladie, ce qui limite l’accès équitable aux traitements pour l’insomnie.
Elle a ajouté : « Je crois que les gens sont occupés, et que la TCC-I peut ressembler à du travail. Mais une fois que tu y as mis un peu d’effort, c’est facile à suivre. C’est la meilleure chose que tu peux faire pour toi-même si tu fais de l’insomnie. »
Ainsi, des efforts pour rehausser l’éducation et la formation des cliniciens et des pharmaciens en matière de sommeil, pour sensibiliser la population, pour améliorer l’accès à des traitements pour l’insomnie fondés sur des données probantes et pour mettre en œuvre des stratégies concrètes de gestion de l’insomnie sont requis. (Davantage d’informations sur les bénéfices de la TCC-I et les enjeux d’accès au traitement à The Current, CBC, en anglais.)
Janet, aujourd’hui âgée de 70 ans, connaît toujours les hauts du sommeil réparateur et les bas des nuits blanches. Mais au cours des 20 dernières années, elle a gagné en contrôle, en confiance et en autorité sur son sommeil. « J’aime m’aider. Le programme de TCC-I m’a affirmé ma capacité à dormir en me fournissant des stratégies que je peux utiliser lors de nuits blanches – quand personne d’autre n’est réveillé. »
Traduit de l’anglais par Mara Normandeau
Madhura Lotlikar, Ph.D. candidate, Neuroscience, McGill University