Version originale en anglais disponible ici : https://css-scs.ca/share-your-sleep-story/marys-story-2/
Aujourd’hui âgée de 61 ans, Mary [nom fictif à la demande de la narratrice] est passée d’une « dormeuse modèle » à une « dormeuse fragmentée » il y a 20 ans. Ses problèmes de sommeil ne sont pas apparus avec des signes avant-coureurs. « C’était soudain, et je ne dormais plus assez. Je terminais des livres en une semaine, ce qui m’est généralement impossible, parce que j’avais tout mon temps la nuit. »
À 41 ans, Mary traversait la périménopause, la phase de transition menant à la ménopause qui peut durer jusqu’à 10 ans. Pendant ce temps, elle a connu des problèmes de sommeil importants, qui se sont graduellement améliorés mais jamais entièrement résolus.
La ménopause spontanée s’inscrit dans un continuum naturel dans la vie d’une femme, qui rénove le corps et le cerveau. Elle s’étend sur plusieurs années, elle n’est pas un événement unique.
Bien que des millions de femmes vivent la ménopause et passent au moins un tiers de leur vie avec celle-ci, le sujet n’est pas abordé ouvertement, et on s’attend des femmes à ce qu’elles l’endurent en silence.
Mary a dit : « C’est l’un de ces tabous dont tu ne parles pas à moins d’être en train de le vivre. C’est comme vivre une fausse couche. Personne n’en parle, et tu te sens comme si tu étais seule à avoir fait une fausse couche. Quand une personne s’ouvre, plusieurs autour d’elle vont se confier ou connaître quelqu’un qui en a fait une également. Et là tu réalises que tu n’es pas la seule. »
Le signe le plus connu de la ménopause – les bouffées de chaleur nocturnes – a contribué aux difficultés de sommeil de Mary.
Je me réveillais et j’avais chaud, chaud, chaud! Je tassais les couvertures et je me rendormais, puis je me réveillais à nouveau trois secondes plus tard et je remettais les couvertures.
Il n’y avait pas que les bouffées de chaleur qui perturbaient le sommeil de Mary. Elle a dit : « Je faisais de l’insomnie [qui a commencé pendant ces années]. Je me réveillais plusieurs fois sans les bouffées de chaleur, puis je n’arrivais pas à me rendormir. Ce n’était pas parce que je pensais ou que je stressais. Aussi, parfois, je ne pouvais pas dormir parce que je ressentais une sensation de tiraillement dans mes bras. Je ne sais pas ce que c’était. »
Pour empirer les choses, Mary devait se lever trois ou quatre fois par nuit pour aller aux toilettes – une partie normale de sa routine depuis qu’elle a subi deux opérations au dos en 1990. La seule différence était que maintenant, contrairement à avant, se rendormir était un véritable combat.
Les couvertures de Mary allaient et venaient, tout comme son sommeil. Elle comptait des moutons sur son horloge.
Elle a raconté : « Je me réveillais plus que dix fois par nuit. Je me posais sur l’oreiller, et après un certain temps, je pensais que c’était le matin. Mais il n’était que minuit! Puis je m’endormais, je me réveillais à nouveau, il était une heure du matin, puis deux heures, puis trois heures! À trois heures, je réussissais à dormir » – après quoi son alarme la réveillait à 6:00!
« La dernière fois que je n’ai pas réussi à m’endormir avant 2:00, je suis devenue anxieuse juste à penser à comment je ne serais pas préparée pour ma réunion tôt le matin », a-t-elle ajouté. « Avec le travail, c’était difficile. Je ne pouvais pas travailler de façon optimale. »
Mary est physiothérapeute au Québec et doit arriver au travail à 8:00, avec seulement trois heures de sommeil, souriante et ayant l’air rechargée pour ses patients. « J’étais bonne avec mes patients. Mais quand j’avais le moindre temps mort » – lorsqu’elle devait compléter des notes aux dossiers ou faire des recherches – « je fermais la porte de mon bureau entre deux rendez-vous et je tentais de faire une sieste sur la table. C’était très difficile de me concentrer ou de me rappeler des choses. »
La fatigue de Mary affectait également sa conduite.
Aux lumières rouges, je me disais “Je vais fermer les yeux jusqu’à ce que la lumière devienne verte”, puis la voiture derrière moi me klaxonnait. Je crois que je n’aurais pas toujours dû conduire pour rentrer chez moi après le travail.
CE N’EST PAS MOI
Un sommeil insuffisant nuit à la cognition et à l’humeur, qui sont également fréquemment affectées par la ménopause. De plus, la ménopause peut accroître les perturbations du sommeil. Ainsi, la personne qui vit la ménopause peut observer un effet synergique sur son comportement, son humeur et sa qualité de vie.
« J’étais extrêmement fatiguée », a confié Mary. « J’avais de la difficulté à me concentrer en écrivant des notes. J’étais fâchée contre tout, j’avais l’humeur très changeante. Je ne dormais pas assez pour ma santé mentale. Et c’était de pire en pire. »
« Je n’aimais pas ce sentiment de moi-même. »
Laissez-moi dresser un portrait de Mary. Elle est une collègue joyeuse, aidante et aimable qui se préoccupe sincèrement des problèmes des autres. Elle est passionnée par son travail, assiste à des conférences pour approfondir ses connaissances, élabore des idées de recherche basées sur ses observations et passe ses fins de semaines en randonnée ou en ski, en canot ou à vélo. Vous pouvez voir ses yeux pétiller comme ceux d’un enfant lorsqu’elle décrit ses périples de fin de semaine.
Vous comprenez l’idée : elle est passionnée par la vie.
Soudainement, elle s’est retrouvée projetée dans un tourbillon d’insomnie, de fatigue, d’épuisement, de brouillard cérébral et de difficulté à s’exprimer clairement. Plusieurs fois et de diverses façon, Mary a répété « Ce n’est pas moi » au cours de notre conversation.
Outre leurs autres conséquences, les nuits blanches et la ménopause ont porté un coup clair à son identité. « Mon raisonnement était déformé. J’ai fait des choses insensées. Une fois, alors que j’avais une bouffée de chaleur et que j’étais à l’apogée de mon insomnie, j’ai décidé de mettre de la crème solaire la nuit pour “prendre le vent”. Mon fil de pensée était bizarre. Mon amie m’a suggéré d’essayer de manger une banane lorsque je me réveillais comme ça. Ça n’a pas aidé. On m’a aussi suggéré d’essayer l’acupuncture. »
« J’allais très mal. »
« J’étais lente et stupide. »
DOCTEUR À LA RESCOUSSE
Mary a brièvement essayé la mélatonine, qui n’a offert qu’un soulagement temporaire, et ses problèmes continuaient d’empirer. Après deux ans à essayer des remèdes maison ou suggérés par des amis, Mary était désespérée. Elle, en ses mots, a « craqué » et a appelé son médecin. « Je n’étais pas capable d’avoir un rendez-vous plus tôt, et je me suis juste mise à pleurer. »
Mary s’est fait dire que sa fatigue pouvait être due à plusieurs autres facteurs : son emploi, ses enfants, les tâches ménagères, et simplement le fait d’être mère.
Mais c’était un tout autre niveau de fatigue. Mon médecin ne m’a pas posé de questions sur mon sommeil. Elle a dit “Ça va”. Mais après avoir insisté, elle m’a prescrit un traitement hormonal.
« C’était magique. Tout est parti! Je dormais mieux. Pas de bouffées de chaleur, je me sentais formidablement bien. » L’hormonothérapie ménopausique est un traitement approuvé par la FDA (l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) pour contrer divers effets incommodants et changements physiologiques causés par la ménopause, qui aide des millions de femmes aux prises avec ces défis. Il est important que l’hormonothérapie soit individualisée, qu’elle tienne compte des antécédents médicaux familiaux de la femme, des résultats d’un examen physique, et des risques de certains problèmes de santé. De plus amples explications se trouvent dans cette vidéo (en anglais) de la Société Internationale de la Ménopause.
Mary a suivi ce traitement pendant quatre ans, jusqu’à ce qu’on trouve une masse dans son sein.
« Ce n’était pas le cancer. » Mais elle était sur ses gardes. « Le spécialiste m’a expliqué le risque de cancer du sein. Je me souviens qu’il m’a dit avec vigueur : “Vous allez vous y faire, aux bouffées de chaleur, tout le monde finit par s’y faire.” Je me sentais bien à ce moment, alors j’ai cessé le traitement. » Pour davantage d’informations sur l’histoire de l’hormonothérapie et l’interprétation erronée des risques, cliquez ici (en anglais).
CONNAÎTRE SON CORPS
Vingt ans après le début de sa périménopause, Mary a encore occasionnellement des bouffées de chaleur et des épisodes d’insomnie. Après avoir cessé l’hormonothérapie, elle a trouvé des moyens de composer avec les effets de la ménopause. Aujourd’hui, elle a une meilleure compréhension de son corps, des déclencheurs de ses bouffées de chaleur et de son insomnie, ainsi que des façons d’y faire face.
« Mes bouffées de chaleur et mes problèmes de sommeil étaient mieux gérés quand je faisais de l’activité physique de haute intensité où je suis à bout de souffle, comme me rendre au travail à vélo ou faire de la randonnée. Il faut que ce soit de haute intensité. Si c’est un niveau d’activité plus bas, comme en vacances : vélo de plaisance, canot, randonnée lente avec des pauses, alors les bouffées de chaleur et l’insomnie reviennent, parfois ensemble, parfois séparément. »
L’activité physique d’intensité élevée, une bonne hygiène de sommeil et le fait de boire beaucoup d’eau – mais pas trois heures avant de se coucher – ont aidé Mary à atténuer ses problèmes.
« Les techniques d’hygiène du sommeil gagnaient en popularité dans les discussions des physiothérapeutes quand je commençais la période de la ménopause [il y a 20 ans]. Alors, je les ai intégrées dans ma routine. Je n’en avais pas entendu parler auparavant. »
Aujourd’hui, lors d’une bonne nuit, Mary réussit à obtenir sept heures de sommeil si elle observe de bonnes habitudes. « Si je ne les respecte pas, je suis surprise de constater que j’ai encore des bouffées de chaleur et de l’insomnie après 20 ans, même si elles ne sont pas aussi intenses. » Elle passe une mauvaise nuit de sommeil une fois par semaine. « Quand ça devient trois fois par semaine, c’est un peu un problème. »
UN BESOIN DE CHANGEMENT
Il y a encore beaucoup à faire pour comprendre la ménopause, ses effets sur le corps et le cerveau, savoir quels traitements fonctionnent pour qui, et trouver des moyens de mettre en place des solutions efficaces. Cela comprend créer des accommodations et des politiques dans les lieux de travail, former le personnel soignant, vaincre la stigmatisation, corriger les conceptions erronées et sensibiliser la population, non seulement au sujet de la ménopause, mais de la santé des femmes au sens large.
Tous ou plusieurs de ces éléments posent encore un défi important dans la plupart des pays. Mary a quelque chose à dire sur ce qui a besoin de changer :
- Savoir donne du pouvoir : Malgré des études, les effets de la ménopause sur le sommeil ne sont pas largement connus ou abordés. Les perturbations ou les troubles du sommeil arrivent par surprise pour plusieurs. Mary aurait aimé être préparée pour ceux-ci. Elle a dit : « Je crois que le fait de savoir est important. Par exemple, on sait tous que l’accouchement fait mal. On sait qu’on ne dormira pas assez quand le bébé est jeune, mais personne ne te dit ce qui arrivera pendant le parcours de la ménopause. C’est une boîte noire. Tu sais que tes règles vont cesser, et qu’il va y avoir des bouffées de chaleur. Mais rien d’autre. »
- L’accès à des ressources de gestion : Mary a mis des années à comprendre ce qui fonctionne pour elle par essai-erreur. « Peut-être une certaine prise de conscience. J’ai constaté que de faire un peu d’exercice m’aidait beaucoup, mais ça a pris du temps à découvrir. C’est très difficile de trouver les bonnes ressources », a-t-elle ajouté.
- Du soutien communautaire : savoir qu’on n’est pas seule : « Ça serait bien de savoir que ce n’est pas juste moi. Tout le monde pourrait apprendre des expériences des autres, de ce qui fonctionne pour eux. Les gens essaient de trouver des façons de s’aider. Et j’ai été chanceuse en ce sens. Je n’avais pas de douleurs. Mais on ne parle pas de solutions à moins qu’il ne s’agisse de médication. »
- L’éducation des médecins : « Ils auraient pu me le dire plus tôt. Je n’avais pas à toucher le fond. » Après un certain âge, il devrait être pratique courante d’avoir des discussions éclairées avec le personnel de la santé sur les effets de la ménopause, les traitements disponibles, et des conseils pour la gestion des symptômes. Cela doit s’accompagner de la promotion d’une formation sur la ménopause dans le curriculum des professionnels de la santé.
Mary a conclu avec une idée puissante – qui mérite d’être répétée, encore et encore.
Je crois que quand tu vis des perturbations du sommeil, ça affecte ta vie entière. Tu ne peux pas fonctionner. Ça affecte ta vie et ton esprit – tu deviens irritable, entre autres choses. C’est une énorme affaire. Mais si on en parle plus largement, on peut agir plus tôt.
La santé du sommeil est au cœur de toute la santé.
Traduit de l’anglais par Mara Normandeau
Madhura Lotlikar, Ph.D. candidate, Neuroscience, McGill University