Version originale en anglais disponible ici : https://css-scs.ca/share-your-sleep-story/sofias-story-2/
« À l’école, je m’endormais en classe. »
« À l’université, je m’endormais pendant tous mes cours et mes examens. »
« Puis je rentrais à la maison, je regardais l’enregistrement du cours et je tombais endormie en regardant l’enregistrement. »
« Je ne pouvais pas travailler. Je ne pouvais pas rester réveillée plus d’une heure sans tomber endormie. »
« Je dormais pendant les partys. »
« Je me sentais anxieuse, je me demandais si je serais même capable de terminer mon examen. »
Avant que vous vous rappeliez cette fois où vous vous êtes assoupi lors d’une énième conférence ou réunion ennuyeuse, je vous arrête. Pour Sofia, s’endormir n’était pas une anecdote cocasse à partager à table, ni un signe de paresse ou d’inconstance lorsqu’elle annulait des projets. C’était un symptôme de quelque chose de beaucoup plus profond, qui lui arrivait à répétition.
Et il y avait plus : quelque chose que Sofia a qualifié d’« étrange ».
Je ressentais une faiblesse soudaine aux genoux après un éclat de rire intense, je devais m’asseoir ou m’allonger.
Sofia avait 14 ans lorsqu’elle a ressenti ces symptômes pour la première fois. La quête pour comprendre ce qui l’assaillait est devenue un périple qui a duré de nombreuses années.
C’EST OFFICIEL
Quand ses symptômes sont devenus encore plus apparents, Sofia poursuivait un B.Sc. en pharmacologie à l’Université McGill. « C’était difficile. Je devais travailler plus fort pour compenser et rester au même niveau que les autres. J’ai commencé à réaliser que je n’obtiendrais peut-être pas mon diplôme si je n’allais pas chercher d’aide médicale. »
Elle se doutait que ce qui lui arrivait n’était pas normal. Ainsi, à 18 ans, Sofia a décidé de prendre les choses en main. Une recherche rapide sur Google l’a menée à l’hypothèse qu’elle était peut-être atteinte de narcolepsie avec cataplexie. « Tout d’un coup, tous les éléments ont commencé à prendre un sens. »
La réalisation qu’un terme existait pour décrire ses symptômes a éveillé en elle un cocktail d’émotions : libération, soulagement, crainte et confusion. « De savoir que je pouvais être atteinte d’un trouble du sommeil, surtout un trouble rare, je ne savais que faire de cette information. Je ne savais pas à qui m’adresser. Je voulais en savoir plus. J’ai également réalisé que je n’étais pas seule. D’autres personnes vivaient la même chose. Je n’étais pas folle. Les choses que je ressentais avaient des causes médicales sous-jacentes. »
Après six mois passés à appeler différentes cliniques, des spécialistes du sommeil et à « carrément supplier que quelqu’un me prenne en charge comme patiente », Sofia a subi une étude du sommeil.
C’était officiel. On a diagnostiqué chez elle une narcolepsie avec cataplexie/narcolepsie de type 1.

Une sieste lors d’une randonnée
C’EST LA NARCOLEPSIE, PAS UNE EXCUSE
Tout comme le terme « dépression » est souvent utilisé à tort pour décrire un simple élan de tristesse, ou « TOC » (trouble obsessionnel-compulsif) pour quelqu’un de plus propre ou organisé que son entourage, la narcolepsie ne réfère pas au fait de s’assoupir lors de réunions fastidieuses.
Les gens aux prises avec la narcolepsie vivent des « attaques de sommeil », des accès de sommeil soudains et irrésistibles, qui dans le cas de Sofia peuvent durer jusqu’à dix minutes. Elle partage : « Quand j’étais à l’école, j’avais jusqu’à dix attaques de sommeil par jour. J’avais des épisodes de somnolence très soudaine, de brouillard cérébral et d’épuisement très soudains, impossibles à combattre. »
Elle les décrit comme « un état de mi-sommeil, mi-éveil. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe. Je ne suis pas vigilante, mais pas complètement endormie non plus ».
Le fait de vivre avec la narcolepsie vous force à planifier votre journée entière autour de celle-ci et à apprendre à constamment écouter votre corps. Serez-vous somnolent pendant une certaine activité? Quand aurez-vous besoin d’une sieste? Quand devriez-vous manger, et quoi? Aurez-vous assez d’énergie pour rejoindre vos amis après une sortie? Comment pouvez-vous vous garder éveillé lors d’une réunion importante où vous ne pouvez pas vous permettre de tomber endormi?
Cela vient avec un sentiment de culpabilité et des déceptions lorsque vous annulez un rendez-vous à la dernière minute parce que vous êtes fatigué, ou laissez tomber vos amis pour un concert que vous aviez planifié il y a des mois.
« Je ne reproche à personne de ne pas connaître la narcolepsie et de ne pas comprendre. Mais si je tente d’expliquer et je fais quand même face à de l’appréhension, ça devient frustrant. Si je veux me coucher tôt alors que tout le monde veille tard, ils vont passer certains commentaires qui me dérangent. Je vais me coucher tôt parce que j’ai un trouble du sommeil. [Au début, mes parents] croyaient que j’étais folle parce qu’ils ne savaient même pas ce qu’est la narcolepsie, comme la plupart des gens. Mais ils m’ont soutenue plus tard. »
La cataplexie est un autre symptôme de la narcolepsie de type 1. Pour Sofia, les accès de faiblesse musculaire peuvent durer jusqu’à une minute – une longue minute remplie d’incertitude, d’inconfort, de panique et de frayeur. Plus ils durent, plus ils deviennent effrayants, sans savoir quand ça finira.
Ce n’est pas quelque chose que tu peux contrôler, et c’est frustrant. Tu ris et l’instant d’après tu es par terre. Parfois, j’ai même de la difficulté à respirer à cause de la perte de tonus musculaire.
SOMNOLENCE DIURNE ET INSOMNIE NOCTURNE
La narcolepsie affecte les parties « visibles » de la vie d’une personne : le travail, la vie sociale, les activités, et le bien-être mental – et pourtant, elle demeure discrète et ignorée par la société. Et en plus, la narcolepsie a des effets invisibles sur le sommeil nocturne. Sofia a apporté un éclairage sur ses difficultés liées au sommeil.
Elle tente de passer au moins sept heures au lit entre 23:00 et 6:30 – des heures au lit, pas endormie. Il y a quelques années, elle a commencé à souffrir d’insomnie. « Tu te sens fatigué tout au long de la journée, et la nuit, dès que tu te poses sur l’oreiller, tu ne peux pas dormir, ce qui empire la fatigue et la somnolence le lendemain. »
« L’insomnie était très, très difficile. » Heureusement, le médecin de Sofia lui a recommandé de s’inscrire à une TCC-I : une thérapie cognitive-comportementale pour l’insomnie, le traitement de première ligne recommandé pour l’insomnie.
« La TCC-I m’a beaucoup aidée. Maintenant, mon sommeil est beaucoup mieux. J’ai parfois encore des épisodes occasionnels d’insomnie pendant lesquels je ne dormirai pas bien pour quelques semaines, et j’applique encore les principes de la TCC-I. La TCC-I aide énormément, je la recommande à quiconque vit avec une quelconque sorte de perturbation du sommeil. » Voyez ici l’histoire de Janet, dont l’insomnie chronique a été gérée par la TCC-I.
Aujourd’hui, lors d’une bonne nuit, Sofia peut bien se retourner sans s’endormir, mais elle réussit à affiler quatre heures de sommeil. Lors d’une mauvaise nuit, elle se réveille aux deux heures. Il est rare pour elle de dormir toute une nuit sans interruption. « C’est bien quand ça arrive. C’est difficile de ne pas être capable d’avoir un sommeil réparateur. »
Sofia fait également part : « Je fais beaucoup de rêves vifs, souvent des cauchemars qui me réveillent. » Au fil du temps, elle a appris à se calmer après que ces cauchemars la réveillent en panique. « Parfois lorsque je me réveille d’une sieste, j’hallucine quelqu’un qui entre dans la pièce ou qui s’assoit sur mon lit » – alors que son corps demeure paralysé, incapable de bouger. Ce phénomène se nomme paralysie du sommeil, une comorbidité fréquemment associée à la narcolepsie. « Maintenant, si je fais une sieste, je m’assure soit de porter un masque occultant, soit que la pièce est assez sombre pour prévenir ces hallucinations visuelles. Si jamais ça arrive, je tente de m’ancrer dans la réalité et de me rappeler que ce n’est pas vrai. »
La narcolepsie affectait autant la vie active que le sommeil de Sofia. D’autres auraient été désespérés d’avoir accès à une solution facile pour se débarrasser des symptômes le plus rapidement possible. Mais Sofia était différente.
DES PILULES, NON. UNE APPROCHE HOLISTIQUE, OUI.
Malgré un accès facile à la médication et une prescription de son médecin, Sofia nous dit : « Je ne prends pas de somnifères. Je n’aime pas prendre des stimulants pour la somnolence diurne, mais je les prends une fois le matin et je suis bonne pour le reste de la journée. »
Sofia a été déçue quand, après son diagnostic, son médecin lui a demandé : « Qu’est-ce que tu veux que je te donne? »
« Je ne savais pas. C’était à eux de me le dire. Alors, ils m’ont prescrit une médication et c’était à peu près tout. » Aux prises avec des sentiments partagés suivant son diagnostic, Sofia espérait une consultation, une conversation pour lui expliquer à quoi elle devait s’attendre, une approche plus holistique pour gérer sa condition.
Elle s’est rendu compte que la médication ne fonctionnait pas bien pour elle. Sofia a alors effectué beaucoup d’apprentissage autonome, de recherches sur sa condition, a rejoint différentes communautés sur le sujet de la narcolepsie, et a lu des témoignages partagés sur la plateforme Reddit. « Être atteinte de narcolepsie me donne presque envie de mener une vie plus saine. »
Sofia a fait part de ses réflexions sur la gestion de la narcolepsie : « Je crois que le traitement de la narcolepsie doit passer par une approche holistique. À part la médication, un mode de vie sain, l’activité physique, le sommeil, la nutrition, le fait de fixer des limites au travail, tout cela affecte les symptômes de la narcolepsie. Ça affecte tout le monde, mais ça affecte les gens souffrant de narcolepsie encore plus. Je pense que les médecins du sommeil n’ont pas un portrait global de la narcolepsie. Traiter la narcolepsie, c’est tellement plus que juste la médication. »
Sa résilience et sa positivité rayonnaient lorsqu’elle a dit : « Je le vois d’une façon positive parce que c’est la main que j’ai reçue et je ne peux rien y faire. Alors je dois la jouer d’une façon qui me met en contrôle et qui me fait me sentir mieux. »
Elle a espoir qu’il y aura un jour un remède contre la narcolepsie.
Il y a beaucoup de médicaments excitants contre la narcolepsie qui sont en cours de test. Alors avec un peu de chance, dans quelques années, nous aurons de meilleures alternatives qui fonctionnent.

Une fière diplômée de la maîtrise en sciences
LE BESOIN DE CHANGEMENT
Sofia est proactive dans la gestion de sa narcolepsie. Mais le travail sur soi – chaque jour – est une tâche difficile, surtout lorsqu’on est épuisé à force de combattre les symptômes de sa condition tout en répondant aux exigences de la vie quotidienne.
S’appuyant sur sa propre expérience, Sofia exprime comment les individus, les institutions et la société peuvent davantage soutenir les personnes atteintes de narcolepsie.
- Améliorer les connaissances des médecins : Elle souligne un besoin pour les médecins d’approfondir leurs connaissances en ce qui a trait à la narcolepsie. « Je crois que parfois, les médecins prescrivent tout ce que tu veux parce que c’est tout ce qu’ils peuvent faire, ou tout ce qu’ils connaissent. Chaque personne est différente, chaque personne a des expériences différentes. Malheureusement, la médication ne peut pas toujours tout arranger, et plusieurs emportent des effets secondaires. »
- Partager le fardeau : Sofia confie que de recevoir des conseils d’un médecin ou d’un psychologue rapidement dans le processus de gestion de sa narcolepsie aurait aider à partager le fardeau. « Ça aurait rendu les choses beaucoup plus faciles – d’avoir quelqu’un pour me guider sur le chemin et m’aider à comprendre comment gérer mes symptômes. Mais j’ai dû le faire par moi-même. » Il est difficile de constamment faire les bons choix pour soi-même simplement parce que qu’on sait que c’est la chose à faire. La motivation, ainsi que plusieurs autres facteurs, joue un rôle majeur lorsqu’il est question de changer des comportements. Le fait de pouvoir compter sur du soutien et des rappels en chemin pourrait encourager et guider les personnes atteintes de narcolepsie à travers ce processus long et ardu.
- Sensibiliser et vaincre la stigmatisation : La narcolepsie est considérée comme une maladie rare, et ses symptômes sont méconnus. Pour les personnes affectées, comme Sofia, il peut devenir difficile de jouer à Google pour tout le monde et même de se heurter à du scepticisme en réponse. Il est essentiel de faire preuve d’empathie et de démystifier les stigmates qui l’entourent par la sensibilisation et la promotion des droits. Sofia dit : « Avoir besoin de repos ne devrait pas être tabou ni un signe de paresse. Quand on dit qu’on n’a pas bien dormi, les gens répondent “D’accord, et puis?” Mais pour quelqu’un atteint de narcolepsie, le fait de mal dormir affecte sa vie entière. » Nous devons nous souvenir que le sommeil n’est pas une option : c’est une fonction biologique impérative, et le manque de sommeil a des coûts sur le bien-être physique, mental et social.
- Des accommodements au travail : Sofia suggère : « Offrir davantage de flexibilité au travail pour quelqu’un qui a besoin de pauses plus longues ou plus fréquentes, et permettre de faire des siestes, seraient de petits changements qui auraient d’énormes impacts sur nous. »
- Les couvertures d’assurance : Le coût de la médication peut s’élever rapidement. « Mes médicaments étaient couverts par mon ancienne assurance avec l’université. Mais récemment, j’ai changé d’assurance, et j’ai remarqué qu’aucun n’était couvert. »
UN MESSAGE POUR LES AUTRES
Aujourd’hui, Sofia est coordonnatrice de recherche clinique dans une unité majeure menant des essais cliniques contre le cancer. Elle est active, résiliente, et passionnée par son travail, qui comporte des interactions constantes avec des collègues, des patients et des médecins. Sofia a un message important pour les autres personnes atteintes de narcolepsie :
C’est tellement important de défendre vos intérêts si vous avez un problème de santé et de ne pas laisser les perceptions des autres vous mettre des bâtons dans les roues.
« Alors, si vous croyez que quelque chose cloche, allez voir des professionnels. Le fait de savoir vous donne du pouvoir. Et si les professionnels de la santé ne vous prennent pas au sérieux, continuez de militer pour vos intérêts et continuez votre recherche pour un médecin qui vous prendra au sérieux. Écoutez vos symptômes. Écoutez votre expérience. Vous n’avez pas à souffrir en silence. Il y a probablement d’autres personnes qui vivent les mêmes choses que vous. Vous n’êtes pas seuls. Faites-vous confiance et ayez confiance que vous serez capable de mener la vie que vous voulez mener. »
Traduit de l’anglais par Mara Normandeau
Madhura Lotlikar, Ph.D. candidate, Neuroscience, McGill University